Christelle Fotso : « Les artistes camerounais ont le droit de se tromper tant qu’ils ne Njitapent personne »

La fille du défunt milliardaire camerounais Fotso Victor dans une tribune publiée le 18 mai 2022, donne son point de vue sur le concert de Grace Decca et les agissements du rappeur Valséro dont elle dit n’avoir « jamais écouté aucune chanson ».

Dans son texte, Christelle Nadia Fotso affirme qu’elle s’attendait « à ce que Valsero fasse l’effort de descendre de son gratte-ciel pour se rendre sur terre et prendre le risque de déplaire à ses fans pour une fois, en se conduisant en gentleman », et se rendre au concert de Grace Decca « puis en cadet bien élevé l’inviter à dîner pour échanger. Mais le but de tout au Cameroun est de brutaliser en humiliant les faibles et en salissant ce qu’on ne peut ni égaler ni casser », peut-on lire.

Ci-dessous, la tribune de Nadia Fotso

La dernière fois que j’ai volontairement écouté une chanson de Grace Decca était en 1993. L’admettre n’enlève rien au fait incontestable qu’elle est une grande artiste camerounaise. Je ne suis juste pas intéressée par sa musique ou sa personne et ne ferai pas ce texte sur son dernier concert à Paris si je n’avais pas aperçu un commentaire de Joël Didier Engo qui m’a rappelé de mauvais souvenirs.

Sans lire ou commenter une de mes lettres ouvertes, il s’était contenté d’affirmer que je m’ennuyais en confessant ainsi qu’il ne l’avait lue mais avait des certitudes sur ma personne sans aucun doute dues à mon patronyme et ce qu’il croit savoir sans jamais vouloir/pouvoir aller au contact en posant des questions parce qu’il ne sait plus être curieux.

Mais revenons sur ce qui est dit d’un concert d’une artiste camerounaise en France et pourquoi cela m’interpelle. L’accent est mis sur le nombre de spectateurs pour déterminer s’il fût un succès ou un échec en moquant le « fait » pour Grace Decca de ne réunir qu’une cinquantaine de personnes qui seraient toutes de sa tribu. Monsieur Engo ne l’a pas fait mais d’autres ont comparé ce concert à celui au Zénith d’un autre artiste Valsero dont je n’ai jamais écouté une des chansons. Je ne dis pas cela pour émettre un jugement de valeurs sur le travail de l’artiste mais reconnaître ne pas écouter sa musique et surtout ne pas être intéressée, Tout cela dit tellement des Camerounais pour qui l’argent et la quantité sont plus importants que tout. Au Cameroun, être c’est avoir, vivre le montrer et le plus important est non pas ce qui est fait mais ce qui est dit.

Je ne sais pas si Grace Decca a raison mais je crois que ses détracteurs qui ne peuvent pas se contenter de ne plus l’écouter ont tort. Il est trop aisé, trop camerounais de faire d’elle une cible. Je me serais attendue à ce que Valsero fasse l’effort de descendre de son gratte-ciel pour se rendre sur terre et prendre le risque de déplaire à ses fans pour une fois, en se conduisant en gentleman. Se rendre au concert de Grace Decca puis en cadet bien élevé l’inviter à dîner pour échanger. Mais le but de tout au Cameroun est de brutaliser en humiliant les faibles et en salissant ce qu’on ne peut ni égaler ni casser. Evidemment, Grace Decca aurait pu agir autrement mais pour les Camerounaises et les Camerounais d’un certain âge et surtout d’une certaine classe comprendre le désespoir des njitapés ou entendre le cris des hyènes, des hiboux et des loups sans être terrorisés est très difficile, presque impossible. Cela exige une agilité intellectuelle qu’ils n’ont pas/plus pour sortir d’eux-mêmes, de leur entre-soi confortable en imaginant que leurs cadets et enfants qui ne sont d’accord avec eux ne sont pas tous des fous, des aigris et des ratés.

Il est indispensable pour le Cameroun que Grace Decca reste Decca en ayant droit à ses erreurs et oui même ses parti-pris. Les artistes camerounais ont le droit de se tromper tant qu’ils ne njitapent personne.

J’avais en parlant de Grace Decca surtout envie de m’adresser à Joël Didier Engo et lui dire avec humilité pourquoi ses commentaires ne sont pas au niveau de son combat. Monsieur Engo, c’est à cause des personnes qui pensent que tout échec est une humiliation ou pire une dis-grâce, pun intended, que Victor Fotso a eu, en dépit de tous mes efforts, une fin de vie ratée qui fut un véritable chemin de croix.

Fotso Victor, Monsieur Engo, acceptait de faire le voyage Bandjoun-Yaoundé-Paris (le Bourget) en avion privé pour ensuite se retrouver misérablement dans son appartement parisien seul, sans argent, sans carte de crédit, longtemps sans infirmière à plus de 90 ans. Il préférait la maltraitance de sa fille en privé aux moqueries et à la cruauté des Camerounais. Le jet privé servait autant de bouclier que de distraction. Mon père connaissait ses concitoyens par cœur et savait qu’il suffisait de cela pour qu’ils croient que tout va bien et qu’un homme qui voyage en jet privé ne peut être maltraité, souffrir et être violé par sa chair parce qu’il y a de l’argent!

L’obsession camerounaise avec la couverture, le vernis, le décapage en jouissant du malheur des autres explique le retour humiliant de la « dépouille » de Victor Fotso au Cameroun dans un jet privé qui, encore une fois, n’était là que pour camoufler l’innommable en sachant qu’il attirerait toute l’attention et que personne ne creuserait tous aveuglés par les signes externes de richesse. Après le njitapage pour éviter la justice et de rendre des comptes, il fallait faire du Valsero. Tapage, en mettre plein la vue au petit peuple pour ensuite imposer, lâcher quelques miettes et passer en force. Il y a tellement de discussions de fond que les Camerounais doivent avoir sur leur pays mais qu’ils évitent rétrécis et diminués par des obsessions farfelues telles que celle de ne pas manger qui leur font zapper toutes les urgences .

Je ne confonds pas la justice avec la rétribution. Je sais donc que ce sont les moyens qui rendent la fin juste et digne et qu’aucun repas copieux n’est gratuit. C’est pour cela que j’ai refusé de manger mon père. Monsieur Engo, quel gâchis que de condamner et de juger aveuglé par ses certitudes. Douter et savoir ce qu’on ne sait pas pour faire un pas vers l’autre et poser des questions avant de commenter publiquement. Je ne peux pas commenter un concert auquel je n’ai pas assisté et en tant qu’artiste, je sais combien la qualité des gens qui nous entourent et qui viennent nous écouter est plus importante que les foules…

Une image confirme que le concert de Grace Decca n’était pas un non-évènement et que le Cameroun, presque malgré ses peuples, n’est pas un ensemble de petits riens. C’est celle de Grace Decca, de son frère Ben et de sa sœur Dora. Trois Camerounais d’un certain âge que l’argent, la politique et le bruit n’ont pas désuni… Fraternité, solidarité, union sacrée particulièrement dans l’adversité…valeurs aujourd’hui njitapées.

Les Camerounais se sont tellement moqués des Algériens en les appelant des pleureuses sans réaliser que le drame du Cameroun justement est que ses populations ne savent plus pleurer, prendre le temps du deuil. Dépendance forte aux toutes feu toutes flammes accrue par une croyance toute puissante que toute défaite est un échec, tout échec une honte et que pleurer est un humiliant signe de faiblesse. Ceux qui ne savent pas pleurer ne savent pas aimer.

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